Romain Béchu est golfeur pro et spécialiste du « tricks golf », une version freestyle du golf qui consiste à jongler avec un club et une balle. Quand certains se plaisent à jongler sur les greens, lui s’amuse à le faire en toute circonstance, sur des planches de surf, de skate ou de snow, aux quatre coins du monde. Rencontre avec cet amoureux de la petite balle blanche.
Golf Régions : Bonjour Romain, comment allez-vous ?
Romain Béchu : Ça va bien, je suis au Pro-Am de Léo Lespinasse de mercredi à vendredi, et vendredi soir je prends l’avion pour Genève. J’ai une démo pour les 30 ans du Golf de Sierre. Je suis pas mal occupé sur cette période du mois de juin.
G. R. : C’est une bonne situation golfeur freestyle ?
R. B. : Je crois qu’en France, je dois être le seul à faire ça. J’ai de la chance de pouvoir en vivre. Ce n’est pas un métier que l’on choisit pour l’argent. En revanche, j’ai su créer un modèle autour de mes animations qui me permet de vivre correctement aujourd’hui. Mais ça reste une niche.
G.R. : Comment se répartit votre activité aujourd’hui ?
R. B. : Mon activité principale, celle que j’essaie de développer le plus, ce sont mes exhibitions, mon show. À ce jour, j’ai réalisé à peu près 70 shows dans le monde et j’espère pouvoir continuer aussi longtemps que possible, car c’est quelque chose qui me correspond, qui me plaît. J’aime partager ma passion à travers mes spectacles. Pour moi, il n’y a pas meilleure satisfaction que lorsque je reviens dans un golf où j’ai fait une démo, et que les gens se souviennent de moi et me disent « j’ai adoré ta démo, maintenant je sais faire ça ». C’est la meilleure satisfaction parce que cela prouve que tu fais évoluer le golf ainsi que l’image que ce sport renvoie.
G. R. : Et le reste de ton activité ?
R. B. : Autour de ça, j’ai tout mon côté images et réseaux sociaux. J’ai réussi à développer ma page Instagram, j’ai environ 20 000 personnes qui me suivent. Peut-être qu’à terme je me mettrais sur TikTok, mais pour le moment j’essaie de me concentrer sur un média unique pour être bien visible. Ce travail m’a permis de développer des partenariats.
G. R. : Là on est plus sur la production d’images. Comment ça se passe avec vos sponsors ?
R. B. : Mes sponsors me permettent de créer du contenu et de mieux communiquer sur mon activité. Monter des projets vidéos, comme j’ai pu le faire pour Golf In The Blue Barrel, serait impossible sans mes partenaires.
G. R. : Comment avez-vous atteint un tel niveau en tricks golf ? Autour des greens, on est tous pareils : on jongle un peu, on ramasse nos balles. Vous avez toujours été meilleur que les autres ?
R. B. : L’histoire est plutôt simple. De nombreux Espagnols venaient participer au Grand Prix des Landes, à la Biarritz Cup, et ces mecs-là, c’étaient les meilleurs avec le sandwedge. Ils avaient toujours le truc pour ramasser la balle, l’amortir, et moi j’adorais ça. Dès que je les voyais, je trouvais ça dingue, et j’adorais le faire, mais je n’étais pas forcément plus doué que les autres.
À 19 ans, avant de passer pro, je suis parti en Australie m’entraîner un hiver avec Olivier Serres. On était les deux meilleurs jongleurs de France à l’époque, et on s’est retrouvés dans une université qui était toute neuve, il n’y avait ni télé ni Internet, il n’y avait rien à faire. Et du coup on a jonglé, tous les jours, tous les soirs… On jonglait 1 h le matin, on jonglait au practice, puis on jonglait 1 h à 2 h tous les soirs.
G. R. : Et est-il vrai que vous avez été sept fois Champion de France jeune ? Vous êtes passé pro à quel âge ?
R. B. : Oui, au total, pas seulement jeune. UNSS deux fois, Gounouilhou, Coupe de France, Champion de France amateur, Champion de France benjamin, Champion de France Puiforcat, et Champion d’Europe. Je suis passé pro à 22 ans. J’ai manqué de peu d’obtenir ma carte pour le Tour Européen lors des PQ3 de 2007. J’ai donc obtenu une full catégorie sur le Challenge Tour pour 2008.
G. R. : Mais vous n’avez jamais réussi à enchaîner de saison complète à cause de vos blessures…
R. B. : Oui, j’ai eu beaucoup de mal à enchaîner des saisons complètes. J’ai joué sur le Challenge Tour et suite à de nombreuses blessures, j’ai fini par redescendre sur l’Alps Tour. Puis je suis parti jouer sur différents Tours, notamment l’Asian Development Tour où j’ai réalisé un Top 10 et quelques Top 15. J’ai aussi joué sur l’Asian Pacific Tour où j’ai participé à l’Open de Tahiti et à l’Open de Nouvelle Calédonie.
G. R. : C’est à ce moment-là que vous avez basculé vers le tricks golf ?
R. B. : En 2013, suite à une blessure, je me suis retrouvé sans catégorie pour jouer donc j’ai tourné ma première vidéo. Tout le monde me poussait à faire des vidéos car je savais faire des trucs que personne ne savait faire. J’ai posté cette vidéo sur Facebook, à l’époque, il n’y avait que Facebook. Et là, ça a été probablement le plus gros buzz que je ferai jamais. J’avais filmé ça sur une GoPro en Thaïlande avec mon père, donc le cadre était plutôt joli. Je me suis amusé à nommer tous mes tricks car la discipline était toute nouvelle. La vidéo a fait un buzz incroyable, elle a fait un peu moins de 600 000 vues sur YouTube.
G. R. : C’est ce succès qui a lancé votre nouvelle carrière ?
R. B. : Oui, j’ai donc commencé à faire des shows. Le Tour Européen me commandait deux ou trois démos par an, notamment lors de l’Open de France. En parallèle, je continuais à jouer, mais je privilégiais le côté financier. Comme je n’avais pas de sponsors pour jouer, le principal c’était d’assurer un chiffre d’affaires minimum pour pouvoir jouer des tournois. Mais je n’ai pas réussi à refaire de saison complète ; je n’en avais pas les moyens.
G. R. : Le freestyle vous a-t-il aidé à développer certaines qualités, votre wedging par exemple ?
R. B. : Oui, ça travaille la dextérité. Parce que le but principal reste le centrage. Du coup, ça aide énormément à la prise de conscience de ta face de club dans l’espace. Et ça, c’est hyper important pour un golfeur.
G. R. : À quelqu’un qui veut se mettre à jongler, vous lui conseillez de travailler quel exercice ?
R. B. : Tu commences par des jongles classiques, tu t’amuses à faire entre les jambes, les trucs vraiment basiques et c’est déjà cool. Mais la base de tout le reste, c’est la maîtrise de la vitesse de la balle. Si tu sais maîtriser une amorti, tu vas pouvoir faire tout le reste en t’entraînant. Et l’amorti, ça se travaille. Au début, tu fais des rebonds. Tu attends que la balle s’arrête sur le club en faisant 5 rebonds. Puis 3, puis 2, puis un, puis plus de rebonds. Ensuite, sans aucun bruit. Et une fois que tu n’as plus de bruit, tu maîtrises.
G. R. : Et concernant la prise en main du sandwedge, il faut gripper court ?
R. B. : La plupart des gens grippent court, le club dans les doigts, pas dans la paume. En fait, c’est à peu près la même prise que lorsque tu joues au golf, mais un poil plus dans les doigts. Surtout pas dans la paume, car cela limite la mobilité du club.
G. R. : Quel est votre tricks préféré ?
R. B. : Le flip dans toutes ses variantes, on peut le faire en back, en front, on peut même le faire en varial ou en amorti. Je trouve que c’est trop beau, c’est ce que je préfère.
G. R. : On note l’influence du skateboard dans votre langage, vous êtes skater ?
R. B. : Oui, bien sûr. Et pour les tricks que je ne savais pas comment nommer, j’ai utilisé le nom de mes potes. Il y en a un qui s’appelle le Charlie’s Flip en référence à mon pote Charles Miquel, et qui était mon premier flip. Un autre s’appelle le Blind Mich, c’était une passe derrière le dos en référence à mon pote Michael Hill.
G. R. : On va parler maintenant de votre vidéo Golf In The Blue Barrel, votre masterpiece, qui est magnifique. Racontez-nous comment un projet comme ça a pris forme.
R. B. : Merci. J’ai eu l’idée à l’été 2022. J’avais tout l’hiver pour réussir le projet, mais j’ai enchaîné les couacs. Je me suis retrouvé au mois de janvier désespéré. Ça faisait six mois que je travaillais dessus et je n’arrivais même pas à toucher la balle avec le club. Jusqu’à présent, je filmais toutes mes vidéos la balle dans la bouche et la caméra dans la main gauche. Et pour ce projet, je ne pouvais pas le faire parce ça allait trop vite. Par chance, je suis tombé sur une vidéo d’un Tahitien qui s’appelle Tikanui Smith et qui utilise une caméra Insta360 avec un harnais pour se filmer. J’ai acheté le même matériel qui a mis presque un mois à arriver. Donc, on est fin février, j’ai zéro image, et la saison se termine au mois de mars.
Et là, il y a une session incroyable qui arrive, un swell de trois jours, qui étaient probablement les trois derniers jours de swell de l’hiver. Le dernier jour, les conditions sont exceptionnelles. J’ai attendu la bonne vague, je me suis placé, et mon pote m’a posé dessus en jet ski. Je savais qu’il fallait que je commence à jongler dès mon entrée dans le tube. J’avais la tête baissée, je regardais juste la balle. Je n’avais aucune certitude d’avoir coordonné le jonglage avec le tube, mais je sentais qu’il s’était passé un truc. Une fois chez moi, je récupère les images et j’ai un bug. Je les regarde 50 fois de suite, et il y a bien le tube ! J’ai appelé tous mes potes pour leur dire que j’avais réussi et je les ai retrouvés pour fêter ça.
G. R. : Vous surfiez déjà de grosses vagues comme ça ?
R. B. : Ouais, ça fait deux, trois ans que je surfe des vagues un petit peu plus grosses.
G. R. : Avec l’objectif Blue Barrel en tête ?
R. B. : Mon job, c’est de trouver de nouvelles idées en termes de jongle, et j’ai eu cette idée-là. Et ce qui est assez marrant, c’est que tous les surfeurs pro que je suis allé voir pour leur parler du projet, il n’y en a pas un qui m’a dit que j’allais y arriver. Ils se sont tous foutus de moi. « Comment tu crois que tu vas arriver à faire ça ? Déjà que tu fais pas un tube ». Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j’avais la sensation que j’allais réussir. C’est étrange. Je suis arrivé hyper concentré, comme en tournoi. Cet état de concentration que l’on atteint quand il vous reste trois trous pour gagner le tournoi. Hyper focus.
G. R. : Vous vous entraînez de la même façon qu’un joueur pro, avec une prépa physique et mentale et beaucoup de golf ? Vous passez sans doute moins de temps sur le parcours ?
R. B. : Je suis toujours un vrai passionné de golf, et si je veux continuer à faire des trucs un peu sympas, des tricks et tout, il faut quand même que je sois en forme. Mon objectif est donc de maintenir mon corps en forme physiquement, donc tous les matins je commence avec une séance de sport à 8 h 30. Ensuite, je vais m’entraîner au golf. Maintenant, ce n’est pas de l’entraînement aussi sérieux qu’avant, c’est plus des parties avec les copains. Mais voilà, j’essaie de garder cette routine de golf aussi parce que je reste avant tout un joueur de golf. Et vu que j’avais aussi ce projet surf, je me suis beaucoup entraîné et j’ai vraiment progressé. Je partageais donc mon temps entre le golf et le surf.
G. R. : Quel est le prochain projet d’envergure ? Golf dans l’espace, zéro gravity, base jump ?
R. B. : [Rires] Je ne peux pas vraiment en parler. Mais il y a bien quelque chose en préparation.
G. R. : Niveau difficulté, c’est encore au-dessus de Golf In The Blue Barrel ?
R. B. : Oui, c’est un step au-dessus.
G. R. : Au sein de Golf Régions, on aime explorer les variantes du golf qui participent à la démocratisation de notre sport. Avez-vous conscience d’y contribuer ?
R. B. : C’est cette passion du golf qui nous réunit tous. Ce sport nous a beaucoup donné et on essaie aussi de le lui rendre. Je sais que sans le golf, je n’aurais pas eu la même vie. Je n’aurais pas voyagé comme j’ai voyagé. Les opportunités que j’ai eues de rencontrer les gens que j’ai rencontrés, toute l’expérience que j’ai acquise autour de ce sport. Pour essayer de joindre ma pierre à l’édifice et d’essayer de faire évoluer son image au mieux, parce que je pense qu’on a encore plein de progrès à faire.
G. R. : Suivez-vous d’autres golfeurs freestyle ?
R. B. : Il y a une Américaine qui est top, qui tape des bois trois dans sa chambre d’hôtel et qui jongle pas mal autour des greens aussi. Elle s’appelle Tania Tare. Il y a aussi Joshua Kelley et Ryan Rustand. Ces deux gars, ils ont une audience et une communauté aux États-Unis qui est monstrueuse. Ils en ont fait une carrière, quand je dis une carrière, c’est qu’ils en ont fait une carrière énorme. Je crois que Ryan Rustand doit être à un demi-million de personnes qui le suivent, c’est énorme.
G. R. : Et hors golf ?
R. B. : Je suis beaucoup le skate. J’aime bien suivre les gens qui font du parkour, comme Lilou Ruel. J’adore Stefan Bojic, un tennisman qui est chez Red Bull et Lacoste. Et je suis beaucoup Teton Juggler, un mec qui m’inspire énormément et que j’adore. C’est un mec qui jongle avec des quilles en skiant. Dès qu’il y a un mec qui jongle, je suis là.
G. R. : Et si on passe un week-end chez Romain Béchu dans les Landes, quel serait le programme ?
On commencerait par un petit surf le matin au Penon, un déjeuner au Sunset Bowls. On ferait un petit passage chez les copains de The Farm, un surf shop très sympa, et on passerait dire bonjour au Hill Golf Center et taper quelques balles. Ensuite, on irait faire 9 trous au Golf de Seignosse, et à la sortie de la partie, une bière à la Cabane du Golf. Et le dimanche, on remet ça !