Histoire

BIG BERTHA, et le driver devint roi

Demandez à un golfeur ce qui lui procure le plus de plaisir, et il vous confiera sans doute que rien ne vaut les sensations d’un long drive frappé parfaitement droit. Pendant longtemps, le plaisir de driver fut réservé aux seuls joueurs d’exception lorsque tout bascula un beau jour de 1991. Un bois d’un nouveau genre allait permettre au plus grand nombre de driver comme les pros, une révolution appelée Big Bertha.

Hickory Sticks

L’histoire commence en 1982 au Vintage d’Indian Wells, en Californie. Après avoir tapé quelques balles, Ely Callaway s’arrête au proshop et aperçoit de jolis wedges et putters vintage. Ils sont montés de shafts en bois qui lui rappellent les clubs de sa jeunesse lorsqu’il jouait à LaGrange, en Géorgie. Mais ceux-ci, signés Hickory Sticks, sont tout sauf des reliques : ils sont flambants neufs et leurs shafts en bois de caryer cachent en fait un shaft intérieur en acier. Après quelques essais, Ely Callaway n’en revient pas, « le feeling était absolument différent de tout ce qui existait alors dans le golf », avoue-t-il à Emory Magazine en 1997.

À cette époque, Ely Callaway profite pleinement de sa deuxième retraite. L’année précédente, il a vendu son vignoble californien Callaway Wines pour la modique somme de 9 millions de dollars, après une première carrière dans le textile, où il présida Burlington Industries jusqu’à sa retraite en 1973. À désormais 63 ans, il apprend que Hickory Sticks est en sérieuse difficulté et recherche des investisseurs. Poussé par sa passion du jeu et par son insatiable sens du business, Ely Callaway rachète 50 % de l’entreprise deux semaines seulement après avoir découvert son existence, convaincu de son potentiel.

Richard Helmstetter

Aussi stylés et performants soient-ils, les clubs Callaway Hickory Stick sont fragiles et l’entreprise américaine peine à empêcher la déformation et la fissuration des shafts en bois. Ely Callaway entend alors parler de Richard Helmstetter, propriétaire de la plus prestigieuse entreprise de fabrication de queues de billard sur mesure au monde, Adam Custom Cues, basée au Japon. Ce dernier est également fort de son expérience dans la conception de clubs de golf en bois destinés au marché japonais haut de gamme. Par l’intermédiaire de Mike Dunaway, star de long-drive, les deux passionnés se rencontrent en 1983, le temps d’un 18 trous au Vintage Club et discutent de l’utilisation du bois dans les clubs de golf. « En tant qu’expert en création de pièces en bois rondes et fuselées, j’ai fait quelques suggestions pour les aider avant de retourner au Japon », raconte Richard Helmstetter à Golf World en 2016.

Ely Callaway est impressionné par l’érudition de Richard Helmstetter et par son sens évident de l’esthétique. Leur rencontre est suivie de nombreux échanges téléphoniques jusqu’à ce que Ely Callaway se rende au Japon pour découvrir les secrets de fabrication des queues de billard de Richard Helmstetter. Sous le charme, il lui propose en 1985 le poste de directeur de conception des clubs Callaway Hickory Stick et d’entrer au capital de l’entreprise. Impressionné par les réussites passées de Ely Callaway, Richard Helmstetter se laisse convaincre et lui signe un chèque d’un montant de 52 000 dollars : « Je me suis dit que je ferais ce que j’avais à faire, que les ventes augmenteraient et que je sortirais de là en empochant quatre ou cinq millions de dollars. Un bon projet, n’est-ce pas ? »

Mousse 1
La paroie latérale du shaft (136) du Big Bertha comporte un orifice interne (142) qui mène à l’intérieur de la tête. Ce passage permet d’introduire la mousse expansive (118) à l’intérieur de la tête lors du processus de fabrication, afin de le rendre plus silencieux. © Schmidt et al.

BIIINK !!!

Après plusieurs années à fabriquer des putters et des wedges, Ely Callaway décide qu’il est temps de concevoir des bois en métal, et de s’attaquer au driver mal aimé. « Le problème avec les drivers, c’est que tout le monde les détestait. Le driver était le club le moins apprécié du sac, ou bien le plus redouté. Les joueurs les achetaient mais ne les aimaient pas. Ils étaient persuadés qu’ils n’allaient pas prendre de plaisir à les utiliser. Je parle de l’attitude de la plupart des golfeurs. Voilà ce que je savais », explique-t-il en 1999 à Cigar Aficionado.

Pour ce faire, Richard Helmstetter s’entoure des meilleurs et se rend à l’Université de Californie à San Diego pour rencontrer John Kosmatka, professeur d’ingénierie mécanique. Ils discutent longuement d’inertie, de tolérance, de vitesse de balle et de tête de club, et Richard Helmstetter lui précise que l’objectif premier est de faciliter la frappe : « J’ai demandé à John “On fait comment ?” et il m’a répondu : “Faites-le plus gros, beaucoup plus gros” », raconte t-il à Golf World.

Une plus grosse tête de club en acier implique de recréer une forme qui soit plus grande et plus fine, tout en restant suffisamment solide. Les premiers prototypes ont des faces énormes et ressemblent à peine à des clubs de golf. Les golfeurs PGA Jim Colbert, Bob Murphy et Jim Dent, qui servent de cobayes, s’accordent sur la qualité de la frappe et sur son esthétique : le prototype est vraiment laid. L’équipe de production en prend bien note : la face est raccourcie et la pointe arrondie grâce à une nouvelle technique de moulage qui permet en parallèle de renforcer la structure.

Autre problème, le prototype, nommé « The Cannon » et qui prendra bientôt le nom de « Big Bertha » d’après le mortier allemand du même nom utilisé pendant la Première Guerre mondiale, est à peu près aussi bruyant que lui. Mais à chaque problème sa solution : « Nous avons découvert la mousse expansive, et c’est à cela que sert le trou dans la partie inférieure de la tête du club », explique Richard Helmstetter. « Nous introduisions 8 à 10 grammes de résine qui gonflaient et remplissaient le trou. Cela a rendu le driver beaucoup plus silencieux à l’impact. Et le son est finalement devenu un aspect positif. Les gars nous disaient : “Ça sonne vraiment bien.” »

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Énorme pour son époque, la tête du Big Bertha est cependant deux fois plus petite que celle du Callaway Great Big Bertha Epic de 2017 et se rapproche davantage de la taille des bois 3 modernes. © Charlie Lemay

Le Big Bang Bertha
À l’automne 1991, la troisième version du prototype fait sensation et le design final du Big Bertha est validé. « Nous l’avons tout de suite su. Dès que nous avons trouvé une forme qui nous plaisait, nous sommes immédiatement sortis avec et l’avons testée », raconte Richard Helmstetter. « Et c’était bon, vraiment bon. » Si bon que Ely Callaway commande immédiatement 60 000 têtes de club à la fonderie et finance une partie du coût avec ses propres fonds.

Le Big Bertha, qui ne coûte pas moins de 260 dollars à sa sortie (près de deux fois le prix des bois en métal fabriqués par Taylor Made), connaît un succès fulgurant. Ely Callaway et Richard Helmstetter dévoilent leur nouvelle création lors du PGA Merchandise Show à Orlando en janvier 1992, où elle devient l’une des principales attractions. Le driver est ensuite proposé aux joueurs de ce qui est alors le Senior PGA Tour, où des contrats de sponsoring sont conclus pour des sommes relativement modestes. Les gains de performance sont criants, et lorsque Ely Callaway et Richard Helmstetter parcourent les golfs pour promouvoir leur nouveau driver, il leur suffit de le proposer à des volontaires et laisser la magie de Bertha opérer.

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Vue de face brevetée du Big Bertha, montrant la tête et la partie inférieure du driver. © Schmidt et al.
Shaft
Le shaft bore-through du Big Bertha, qui traverse totalement la tête, permet de déplacer le centre de gravité du club vers le bas et l’arrière, augmentant ainsi la stabilité du club à l’impact. © Schmidt et al.


Doté d’une tête de club creuse en inox de 190 cm3, 25 % plus grande que tout ce qui existe alors sur le marché mais sans être plus lourde, le Big Bertha offre un sweet spot élargi qui le rend bien plus tolérant que la concurrence. De plus, son shaft bore-through, qui traverse totalement la tête, une première dans l’industrie du golf, permet de déplacer le centre de gravité du club vers le bas et l’arrière, ce qui augmente la stabilité à l’impact. L’absence de hosel (point de fixation liant la tête de club au shaft) permet également de réduire le poids de la tête de club qui favorise une plus grande vitesse de swing et des distances de frappe significativement plus longues. « Cela fait 61 ans que je joue, je n’ai jamais rien vu de tel », déclare Thomas Dight, 76 ans et 12 de handicap au Time en 1993, après avoir gagné près de 30 mètres au drive grâce au Big Bertha.

Le driver devient rapidement le club de golf le plus vendu de tous les temps. Sa popularité propulse les ventes de Callaway à 54,7 millions de dollars en 1991, soit plus du double des 21 millions de dollars de l’année précédente et plus de dix fois les 4,8 millions de dollars de 1988. Et l’effervescence continue. Les ventes de Callaway atteignent 132 millions de dollars en 1992 et quasi doublent l’année suivante pour atteindre 254,6 millions de dollars. À lui seul, le Big Bertha représente 80 % des ventes de la société, et début 1994, plus d’un million de golfeurs l’ont dans leur sac.

«  Je n’ai jamais pris un aussi bon départ de toute ma vie. »

À l’instar de la raquette grand tamis de Prince qui révolutionna le tennis en 1976, le Big Bertha établit de nouveaux standards dans le golf en proposant aux joueurs une tête de club plus légère, qui peut frapper plus loin avec un minimum d’habileté. Ce qui était autrefois le club le plus redouté et anxiogène du sac du golfeur, celui qui était le plus difficile à frapper, devient quasiment du jour au lendemain le club que l’on a le plus envie d’utiliser.
Contrairement aux autres acteurs de l’industrie, Ely Callaway ne revendique pas de gain de distance avec son nouveau club, mais plus de plaisir. Le Big Bertha est d’abord un driver convivial pour les golfeurs amateurs, qui le trouvent « assurément meilleur et agréablement différent », pour reprendre le slogan de Callaway. « Je n’ai jamais pris un aussi bon départ de toute ma vie », s’exclame le plus célèbre d’entre eux, le président George H. W. Bush, après avoir goûté au Big Bertha en septembre 1991 devant les chaînes de télévision. Peu importe que la balle soit frappée sur le talon ou sur la pointe, elle filera dorénavant bien droit, rendant le jeu plus agréable pour une très grande majorité de golfeurs. Pour autant, cela ne signifie pas que le jeu est devenu plus facile, il en a juste l’air. Et c’est déjà beaucoup.